En préambule, cet article a été écrit par mes soins pour notre association Troisième planète: https://www.troisieme-planete.org/
Je vous invite à découvrir ma passion pour le Tigre et pour l’Inde, à travers ce témoignage en 3 volets.
Passionné par les grands Carnivores qui peuplent notre planète, je me suis mis en tête, il y a déjà plus de dix ans (2011), de partir rencontrer la faune indienne. Le choc initial fut rude tant l’expérience nature y est différente de celle du continent africain qui avait, jusque là, ma préférence : petits parcs (Kanha, l’un des plus grands, couvre seulement 2000km², alors qu’un « mastodonte » comme le Sérengeti en Tanzanie en couvre quelques 15000), grande concentration de véhicules, autorisation d’entrée plus ou moins folkloriques et enfin variations saisonnières importantes de la physionomie des parcs, de la fin de la mousson jusqu’à l’été.
Icône des icônes, le Taj Mahal est un incontournable !
Avec 1,2 milliard d’habitants pour 3 millions de km², la densité de population moyenne de l’Inde n’est que de 3 fois celle de la France. Pourtant, ce qui frappe avant tout la première fois qu’on s’y rend, c’est une surpopulation urbaine flagrante parfois couplée à une extrême pauvreté.
On l’aime ou on la déteste, une chose est sûre : l’Inde fascine par l’énergie vitale qui s’en dégage. Pays dont la culture vibrante et millénaire attire les touristes du monde entier, l’Inde captive aussi les amoureux de la Nature de par sa surprenante biodiversité. Tant dans les villes que dans les campagnes, les habitants manifestent souvent une tolérance extrême envers les animaux, une valeur essentielle inculquée par l’Hindouisme, la principale religion du pays. En témoigne son panthéon animalier.
L‘Inde me faisait rêver. J’avais le tigre en songe après avoir vu les trois autres “grands” (lion, léopard et jaguar). Depuis mars 2010, je me suis donc rendu 5 fois dans des parcs magnifiques comme Corbett, Kanha, Ranthambore, Tadoba, Kabini.
Loin de moi l’idée de brosser une image idyllique du pays car il n’est guère contestable que comme partout ailleurs, l’explosion démographique humaine a conduit à la diminution nette de ses populations de Carnivores (le tigre étant le malheureux porte-drapeau de cet état de fait).
Malgré des environnements dégradés, l’Inde compte encore une belle diversité d’espèces de Carnivores et est le seul pays au monde à héberger 4 des 5 membres du Genus Panthera* (tigre, lion, léopard et léopard des neiges).
*tigre, lion, jaguar, léopard et léopard des neiges
Tant dans les villes que dans les campagnes, certains habitants manifestent souvent une tolérance extrême envers les animaux !
Quand on arrive en Inde, il serait malhonnête de dire qu’on a autre chose en tête que le mot “tigre”. C’est l’obsession initiale : “voir et photographier un tigre”. Le recensement de 2015 n’a beau faire état que d’une population (en légère hausse) de 2200 tigres (probablement 3000 fin 2018), beaucoup ne vont en Inde que dans l’espoir de l’apercevoir. Il y a peu d’animaux qui fascinent autant, j’imagine. Mais il faut le dire : quel animal, quelle beauté, quelle puissance, quelle classe ! Il fait également peur car il est parfois mangeur d’hommes notamment dans la région des Sunderbans (est du pays). En Inde, on trouve le tigre du Bengale (panthera tigris tigris), une des 6 sous-espèces encore existantes (3 sont déjà éteintes). J’ai eu plusieurs rencontres mémorables avec le tigre du Bengale. La toute première fut à Kanha : une jeune tigresse était venue boire à un point d’eau. J’ai encore ce souvenir mémorable d’un instant pendant lequel la jungle retint sa respiration, et nous avec elle, en l’observant se désaltérer (j’étais debout sur le siège de la jeep pour l’apercevoir).
J’eus aussi une belle rencontre avec le “star male” de Ranthambore en novembre 2011, qui nous offrit le spectacle d’un bain et de la sortie royale qui va avec. Il eut même l’élégance de nous conduire lentement vers la sortie du parc. Une autre fois, toujours à Ranthambore, j’ai pu assister à un instant de grande tension, juste avant l’accouplement de deux tigres. Je tremble encore en me remémorant les rugissements post-coïtaux de la femelle.
Mais incontestablement, les deux plus incroyables moments furent en 2013 à Tadoba (Maharashtra, centre du pays), où j’ai eu la chance d’assister à une formidable interaction entre un ours lippu (ursus melursus) et une jeune tigresse (après une longue poursuite à distance de l’ours par la tigresse)…
… Et aussi de faire une rencontre magique en face à face avec un mâle dans la “zone tampon” du parc.
Photographier un tigre n’est pas chose aisée car à de nombreuses reprises, on peut se retrouver en sa présence mais la végétation dense empêche la réalisation de bons clichés. Parfois, on sait qu’il est là mais on ne le voit même pas, comme ce tigre que tout Ranthambore ou presque entendit rugir pour appeler une femelle de très loin. Mais jamais il ne nous fit la grâce d’apparaître. Le tigre est un animal surprenant et aux mœurs sociaux plus développés qu’on ne l’imaginerait. Certains mâles sont de vrais « papa poule ». Le mâle Wagdoh (« eau profonde ») de Tadoba a souvent été vu en compagnie de sa progéniture avec plus que de la tolérance pour elle. On raconte aussi cette histoire d’un mâle à Ranthambore qui a pris en charge sa progéniture en bas âge alors que leur mère venait de mourir accidentellement. Cet animal n’est donc pas un aussi grand solitaire qu’on le pense mais chaque animal a son propre caractère au final.
Outre la protection des autorités, ce qui maintient les populations de prédateurs, c’est évidemment la présence de proies que sont les grands herbivores. L’Inde est très riche en grands et petits cervidés (sambar, cerf axis, barasingha, muntjac), bovidés (gaur ou « bison indien »), antilopes (nilgaut, gazelle indienne, antilope cervicapre, chowsingha) et autres sangliers asiatiques. Savoir cela ne permet toutefois pas de garantir des rencontres. La recherche d’un grand prédateur dans un parc indien se fait assez simplement depuis une jeep. L’identification et le suivi des traces sur les pistes sablonneuses constituent souvent la première étape.
.. Pas de doute un gros chat est dans les parages et depuis peu comme le montre cette empreinte qui n’est pas recouverte de poussière.
On se lance alors dans un jeu de pistes en essayant d’utiliser ses sens le mieux possible. Parfois, il faut aussi bien observer l’attitude corporelle des grands cervidés : des têtes tournées dans une même direction avec les oreilles vers l’avant, des queues relevées, un piaffement d’impatience indiquent souvent la présence probable d’un prédateur que nos sens ne détectent pas encore. Le point commun de tous ces prédateurs est que lorsqu’ils sont repérés, c’est toute la jungle qui entre en émoi, et les cris d’alarmes des cerfs (sambars, barashingas, axis ou muntjac), des singes langurs ou des paons en disent long.
Attitudes caractéristiques des cervidés (chitals), queues levées et cri d’alarmes indiquent une présence plus que suspecte (mais les faux positifs ne sont pas non plus exclus, les animaux étant craintifs par nature).
Aucune proie n’est aisée et le tigre ne succède qu’environ une fois sur 10 malgré un camouflage impressionnant et des qualités athlétiques extrêmes ! Mais en face, il y a du répondant aussi ! La proie préférée du tigre, c’est sans aucun doute le cerf Sambar. C’est un très gros cervidé et le tigre peut facilement se nourrir sur une carcasse plusieurs jours !
Idéalement, les plus gros tigres s’attaqueront à l’énorme gaur (“bison indien”), le plus gros bovidé approchant souvent la tonne. Malgré son côté placide, c’est un énorme animal et le tigre ne bénéficie pas d’un groupe comme le lion permettant de faire tomber des buffles voir même plus gros, c’est donc une énorme prouesse individuelle d’y arriver mais aussi une grosse prise de risque.
Les autres proies de choix sont des animaux de plus petite taille mais aux effectifs fournis et le tigre ne dédaignera pas une prise :
A l’occasion, le tigre mettra la patte sur le langur, le singe le plus commun des jungles indiennes !
Le tigre a beau être l’animal national de l’Inde, sa relation avec l’homme est parfois complexe et ce à de multiples niveaux. Il représente encore aujourd’hui pour bon nombre d’Indiens amoureux de Nature le summum de la beauté et de la puissance. Si le citadin lui voue sans doute une relative indifférence, pour d’autres dans les campagnes, il représente un danger de vivre au quotidien avec un tel prédateur, pour soit, sa famille ou son bétail.
On ne réalise pas qu’au début du 19e siècle, l’Inde comptait 10 0000 tigres (il est encore plus improbable de se dire qu’il y avait aussi des guépards sur le sous-continent à cette époque). L’animal était ainsi très répandu dans toute l’Asie du sud-est.
Dans de telles proportions, l’animal fut énormément chassé sous l’Empire britannique mais aussi par les Maharajahs locaux.
Aujourd’hui le message communément véhiculé par les médias c’est que le tigre est en grand danger, principalement victime de braconnage. Il est vrai qu’avec la proche présence du voisin chinois, l’influence de la médecine traditionnelle friande de diverses parties de l’animal (sans effet scientifiquement prouvé) ne joue pas en sa faveur. Les populations ont touché un plus bas très inquiétant dans les années 2007/8 mais remontent graduellement depuis ce temps et un recensement en 2018 a montré qu’il y avait environ 3 000 tigres en Inde (4 000/4 500 au niveau mondial).
En effet, malgré une centaine d’animaux braconnés en Inde ces dernières années, les populations remontent, c’est une bonne nouvelle !
Mis à part un déclin lié à la chasse sous l’Empire, ce n’est donc pas du fait du braconnage que les populations de tigres ont énormément chuté. La raison principale est tout simplement la réduction drastique de son habitat (93% pour être précis) depuis l’explosion démographique qui a frappé le pays en 200 ans.
Alors qu’il est aujourd’hui plutôt bien protégé dans les parcs nationaux, son essor est principalement freiné par la petitesse de son territoire et de fait la limitation des proies disponibles. Car le tigre n’est pas un animal capable de s’adapter comme le léopard plus petit, plus furtif et capable de manger un rat comme une grosse antilope. Le tigre est un chasseur de grandes proies. Quand ces proies sont en grand nombre, il prospère et sa capacité à une reproduction rapide lui permet de régénérer ses populations assez rapidement.
Le tigre devient donc un problème quand il ne trouve plus assez de grandes proies sur son territoire ou qu’il est forcé de le quitter (jeune tigre, tigre vieillissant et renversé par un tigre dans la force de l’âge).
Il doit sortir des parcs nationaux et rencontrera inéluctablement le bétail et les êtres humains avec des accidents parfois fatals mais pas si fréquemment que cela (plus de morts sont imputables à des éléphants). Dans les Sundarbans, la mangrove étant pauvre, les grandes proies manquent et les tigres sont connus pour s’attaquer aux hommes. La légende du mangeur d’hommes est une réalité pour ceux qui osent s’aventurer inconsidérément là-bas.
Le tigre est une espèce iconique de la conservation aujourd’hui. Il est juste difficile d’imaginer qu’un aussi bel animal disparaisse à l’état sauvage. S’il disparait son habitat disparaitra et quelque part une activité économique touristique autour de lui laissera sa place à l’industrie minière ou au développement de l’agriculture. Toutes les autres espèces forestières seront amenées de fait à disparaître également. Ce serait une perte capitale !
Le projet tigre initié dans les années 70 par Indira Gandhi, a permis de sanctuariser certains espaces et même les promoteurs les plus avides ont du mal à s’attaquer à ces “monuments de Nature”.
Même si les populations sont encore basses, le déclin est stoppé et ce au niveau Mondial. Des solutions seraient d’agrandir certains parcs et d’ajouter de longs corridors entre certains. Mais ces projets sont peu populaires dans les campagnes car ils sont susceptibles de provoquer des déplacements de population comme cela a été fait dans d’autres parcs. La menace plus sournoise pour le tigre c’est que son territoire étant très morcelé, le brassage génétique est moindre entre individus (consanguinité) ce qui fait peser des risques à moyen termes liés à des maladies diverses. La réalisation de “corridor” entre certains parcs permettrait de lutter contre cet appauvrissement. Comme a d’autres endroits, il faudra reconstituer des forêts et « ré-ensauvager ». L’Inde a cruellement besoin de forêts en plus pour tempérer un climat qui devient insoutenable l’été (50°C à certains endroits) avec un stress hydrique phénoménal à l’échelle du pays.
Malgré tous ces challenges encore devant elle, l’Inde donne une belle leçon de conservation de par sa volonté d’améliorer la situation, mais cela ne se fera pas sans heurt à l’évidence.
C’est une question très difficile car le problème est de l’ordre des politiques nationales des pays concernés en Asie et pas directement lié à des comportements humains globalisés sur la planète.
Il faut essayer de soutenir des associations qui se battent pour la protection du tigre sur deux plans :
• la protection directe de l’animal
• la meilleure connaissance des problèmes environnementaux de sorte à promouvoir la jeunesse au rang d’ambassadeur du tigre et de sa forêt.
En 2021, Troisième Planète vous proposera un programme pour contribuer à la conservation du tigre à Bandhavgarh visant à :
• Améliorer les conditions d’études des enfants dans la région
• Fournir des pompes solaires utilisables dans le parc pour améliorer les conditions des animaux l’été quand le stress hydrique devient fort
• Fournir des couvertures à des habitants pour éviter la collecte excessive de bois dans le parc
• Montrer le tigre et sa forêt en vrai aux enfants
• Contribuer à la progression en anglais de jeunes adultes pour leur permettre d’accéder à de bons emplois dans le secteur du tourisme animalier
Vous pouvez aussi contribuer à l’association française « Planète tigre » : https://www.planète-tigre.org/